Chronique

« « Le système de la dette dans les économies africaines »

UJAMAA PRESSE

Publié le 02 Avril 2024

La Campagne de sensibilisation contre le système de la dette, créée et organisée par le Comité Ujamaa, touche à sa fin. De Bruxelles à Gembloux, de Gembloux à Namur, de Namur à Louvain (leuven), de Louvain à Liège, et de Liège à Lille ; le Comité Ujamaa a édifié le monde académique et la jeunesse africaine sur la thématique politico-économique qu’est le système de la dette. Celle-ci est un sujet bien vaste, qui est habituellement défini par des réponses complexes spécialement compris par des élites qui sont traditionnellement composées de politiciens et économistes. Pourtant, avec l’aide du CADTM, qui est également un comité, « Comité d’abolition des dettes illégitimes » 1 , la compréhension sur le système de la dette a été décortiqué afin de percevoir quel est son origine et qui en sont les bénéficiaires. Historiquement, la Chute du mur de Berlin est le début de l’hégémonie de l’économie occidentale exercée en tête par les Etats-Unis. Cette domination est caractérisée par le capitalisme et l’économie de marché. La dette dans l’acception occidentale de l’économie est la clé de voute de l’ensemble des structures financière et économique. Elle est considérée comme une forme de technologie conceptuelle. Elle permettrait d’allouer efficacement les flux de capitaux générés par le travail collectif. Il en découlerait également des bénéfices liés aux taux d’intérêts. Ainsi grâce à la dette, les entreprises peuvent se financer, les ménages peuvent consommer. Les banques ne sont pas en reste, grâce à la dette elles voient augmenter leurs bénéfices. Enfin, les acteurs du secteur financier, créanciers, de toute nature, retirent des bénéfices de la dette. La pérennité du système économique est ainsi assurée. La dette est culturellement valorisée et considérée comme une composante essentielle de la vie des affaires. Ce modèle s’est imposé au monde, à tous les peuples y compris à ceux qui avaient choisi des voies originales.L’Afrique n’y a pas échappé. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le bloc de l’ouest, sous commandement des Etats-Unis, a créé les organisations internationales financières telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, faisant au passage du dollar une monnaie de réserve en lieu de place de l’or et la monnaie du commerce internationale. C’est dans ce contexte que les territoires africains se sont décolonisés au début des années 60. Ce faisant, cette chronique spécialement rédigée par tous les membres du « Département Presse » est un indicateur sur le symbole des conséquences du système de la dette dans les économies africaines. Pour se faire, l’étude se portera sur quatre États précis qui sont les républiques d’Haïti, du Congo (RDC), d’Angola et de la Côte d’Ivoire.


1 Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, www.cadtm.org.

1.La République d’Haïti et l’origine du système de la dette

Afin de percevoir le système de la dette dès son origine, l’indépendance d’Haïti en 1804 est l’élément clé de l’Histoire étant donné son caractère symbolique puisqu’Haïti a été le premier Etat, seulement composé d’esclaves d’origine africaine, à s’être libéré officieusement. La France a été la métropole de Saint-Domingue, devenu Haïti après l’indépendance, et a refusé considérablement « de reconnaitre l’indépendance de l’ancienne colonie » 2 . Ce caractère politique a eu pour origine l’économie croissante et fructueuse qu’a engendré la colonie de Saint-Domingue. En effet, les commerces de coton et de sucre ont été d’apogée à la fin du XVIIIème siècle3 , plaçant la colonie de Saint-Domingue au rang de colonies les plus productives d’Europe. Toutefois, bien que le commerce ait été exponentiel, mettant d’autant plus la France au rang de superpuissances vers la fin du XVIIIème siècle, il n’en reste pas moins que la politique employée dans l’ancienne colonie de Saint-Domingue a été d’une violence commune des politiques esclavagistes. Ainsi, de nombreuses révoltes ont éclatées provoquant la grande guerre d’indépendance dès 1791 avec, par exemple, l’emblématique révolte de Bois-Caïman. Comme l’a écrit Mary-Bejen dans son Coup de gueule au titre « Haïti » : « (…) lorsque Saint-Domingue devient Haïti après l’indépendance en 1804, de nombreux pays incluant les États – Unis, l’Angleterre et l’Espagne refusent de reconnaitre l’existence de ce nouvel Etat – nation par peur des rébellions d’esclaves » 4 . Dès lors, le rapport Mackau est la réponse de l’élite politique française, définie par de haut-fonctionnaires, contre la plausible et importante perte financière de l’île de Saint-Domingue. De 1804 à 1822, la nouvelle république d’Haïti a souffert de hautes tensions politiques, caractérisées de divergences, premièrement entre la classe politique interne provisoire qui s’est disputée le rôle concret de la république naissante ; et deuxièmement, par des menaces diplomatiques de haut-fonctionnaires français manifestées envers la politique révolutionnaire d’Haïti. Mary-Bejen argumente ceci, toujours dans le même coup de gueule : « Mais poussés par des intérêts financiers, la France, venue avec plus de 500 canons sur ces navires sur le sol haïtien, acceptera en échange d’une « compensation » de 150 millions de francs pour les pertes de revenus liées à l’esclavage (…) » 5 . En 1822, Haïti est à la tête du révolutionnaire controversé, Jean-Pierre Boyer. Suivant la politique de ses prédécesseurs, il a renoncé aux compromis qu’a partagé la France qui revendiquait d’obtenir continuellement une mainmise dans la politique interne de son ancienne colonie. Pourtant, à travers les divers échanges diplomatiques entre les élites françaises et haïtiennes, un compromis financier a pour finir été scellé reposant strictement le poids géopolitique et stratégique de la France sur Haïti ; qui est donc la compensation de 150 millions de franc-or aux colons français ayant perdu « leurs terres » tout juste après l’Indépendance de 1804. Cette compensation financière est le début du moteur du système de la dette dite parfois odieuse ou illégitime et/ou illégale. Ce système précis a été employé de manière perspicace comme le dénotent les auteurs Marcel Dorigny, Jean Marie Théodat, Gusti-Klara Gaillard et Jean Bruffaerts, dans leur livre commun, « Haiti-France : Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825) ». Ils statuent d’une part, que les taxes obligatoires qu’ont dû payer les Haïtiens ont été exagérément élevés induisant que même le budget annuel de la nouvelle république ne puisse pas permettre un tel remboursement6 . Cela est appelé dans les termes juridique internationaux « système de dette illégitime » 7 . Et d’autre part, la compensation de 150 millions de franc-or qui se devait d’honorer les colons qui se seraient appauvris dû à leur perte de gain, n’a cessé d’augmenter considérablement sous uniquement l’impulsion de créanciers français voulant recevoir l’argent au plus vite ! 8 Pour illustrer ce schéma financier : la Banque nationale d’Haïti a été sous la directive d’économistes français, défendant ainsi leur « compensation » en collaboration avec d’autres économistes et investisseurs privés britanniques et américains ; mais également, de l’élite politique française qui ne s’est nullement privée de pouvoir obtenir gain de cause dans ce climat financier lui correspondant puisque, grâce à celui-ci, la France a pu empiéter comme déclaré dans le rapport Mackau9 , dans l’économie de son ancienne colonie, Haïti, anciennement Saint-Domingue. Les stratégies énoncées sont nommées « système de dettes illégales et odieuses ». A ce jour, le cas du système de dettes appliqué sur Haïti est toujours d’actualité et les conséquences sont nombreuses. Pour rappel, l’indépendance de 1804 à Saint-Domingue a occasionné une foulée de crainte en Europe, et également aux États – Unis, qui a directement employé les mesures adéquates pour stopper cette effervescence de révoltes et d’émancipation de colonies. Afin, par ailleurs, de garder un regard strict et stratégique sur son ancienne colonie, la France a admis qu’une compensation auprès d’anciens colons chassés de leurs terrains d’activité permettrait une certaine « réconciliation » 10 entre les deux États voire une amélioration des relations diplomatiques. Pourtant, les profits n’ont été bons qu’à la France, Haïti a souffert, de son côté, d’une conséquente dette qui lui a été obligé explicitement et rigoureusement. Cette pratique financière est courante et connue de tous. Les mécanismes du système de la dette ou des dettes sont d’application dans d’autres États. Voyons-en avec la République démocratique du Congo et comment le système de la dette s’inscrit dans son économie.



2 DORIGNY. M, THEODAT J-M, GAILLARD G-K, BRUFFARTS J, « Haiti-France : Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825) », Paris, Hémisphères Editions, 2021, p.35.
3 Ibidem, page 14.
4 BEJEN. M, (18 mars 2024). « Haïti : de la première république noire au putsch des gangs ». Département Presse, Comité Ujamaa.
5 Ibidem.
6 DORIGNY. M, THEODAT J-M, GAILLARD G-K, BRUFFARTS J, « Haiti-France : Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825) », Paris, Hémisphères Editions, 2021, p.16.
7 RIVIE. M, DELOBEL. R, CARTON. A. (Janvier 2021). Généalogie de la dette en République démocratique du Congo. Comité d’abolition des dettes illégitimes et Entraide et Fraternité, page 3.
8 DORIGNY. M, THEODAT J-M, GAILLARD G-K, BRUFFARTS J, « Haiti-France : Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825) », Paris, Hémisphères Editions, 2021, p.7.
9 Le « rapport Mackau » est un rapport datant de 1825 qui a pour rédacteur originel, le haut grade de l’armée française, officier supérieur de la marine, le baron de Mackau, qui exprimait les compromis économiques dont devaient respecter Haïti sous JeanPierre Boyer, afin de pouvoir être reconnu comme un Etat pleinement indépendant dans la scène internationale.
10 Ibidem, page 67.


2.Le retour sur les dettes publique de la République démocratique du Congo

La vulnérabilité économique dont souffre la République démocratique du Congo depuis des lustres doit être compris avant tout sur l’entretien exclusif qu’élabore le système de la dette dans son économie. Durant la première phase de la période coloniale sous Léopold II, l’Etat indépendant du Congo (EIC) est devenu la propriété privée du roi belge ; mais également, un terrain d’investissements cruciaux. Léopold II n’a cessé d’emprunter de grosses sommes auprès d’investisseurs privés provoquant que ses dettes s’alourdissent. À partir de 1900 , les pressions internationales sur les crimes commis envers la population congolaise dans l’EIC se sont aggravées que le roi belge Léopold II a cédé officiellement « sa propriété privée » au royaume de Belgique. Cette passation de colonie à la Belgique a été suivie des dettes récoltées par Léopold II qui se sont élevées à 11 millions de francs en 1908 . Ce faisant, les prémices de l’exploitation des ressources naturelles du Congo belge par la Belgique ont très vite suivis. En effet, vers 1936-37, l’Etat belge empruntera 120 millions de dollars auprès d’investisseurs privés pour financer ses projets coloniaux sur le territoire congolais. D’ailleurs, 105.4 millions de ces prêts ont été dépouillés par l’administration coloniale belge en prétextant l’achat de produits exportés par la Belgique (minerais, produits agricoles etc…). Le 30 juin 1960, le Congo belge obtiendra non seulement son indépendance, mais aussi une dette publique qui est revenue à 46.1 milliards de francs belges. Cette somme, qui a servi les intérêts de la puissance coloniale belge, sera illégalement déplacé vers l’Etat congolais en 1965 sous le début de la présidence de Mobutu Sese Seko. Bien plus que l’octroi de dettes illégitimes et illégales, le président Mobutu Sese Seko a obtenu un rôle stratégique dans la politique des dettes durant la Guerre froide11 puisqu’il en sera un des plus forts bénéficiaires, aidé indéfectiblement par les puissances occidentales dont la Belgique et de la France. La république du Zaïre a reçu de nombreux prêts durant le pouvoir de Mobutu bien que les maniements aient été questionnables notamment avec la corruption institutionnalisée à des fins personnels. Malgré les détournements de fonds publics exacerbant de Mobutu12, les institutions financières comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les structures publiques (Banque de France, AFD etc.) ne se sont pas interdites de couper les prêts à Mobutu ; elles ont persisté à financer des prêts au Zaïre tout en étant conscientes de la politique dictatoriale et corrompue de Mobutu Sese Seko. Ainsi, cette politique a été d’application même après l’apparition du rapport Blumenthal13. En effet, Erwin Blumenthal14 , qui a été autrefois membre du directoire au sein de la banque centrale de la République fédérale d’Allemagne, a témoigné de son expérience lorsqu’il a travaillé au sein de la banque de Zaïre sous la présidence de Mobutu Sese Seko. Dans son rapport, il a prévenu la communauté internationale des dépenses astronomiques sous le régime de Mobutu et de l’impossibilité aux créanciers de retrouver l’argent qu’ils ont investi. Dans cette logique, les dettes accumulées par le régime de Mobutu sont des dettes odieuses. Même après la chute du président Mobutu, les dettes ont continué d’accumuler en atteignant 13 milliards de dollars15 . A aucun moment l’extraction des prêts n’a été fournie dans un but pour aider la population. Enfin, l’attention se porte précisément sur la dette employée illégitimement par le gouvernement colonial belge qui a transféré les dettes cumulées de 1908 jusqu’à 1960 au nouvel Etat de la République du Congo, puis de la République du Zaïre. Qui plus est le rôle complice qu’ont entrepris les institutions financières que sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui se sont tenues de prêter de l’argent au président Mobutu Sese Seko tout étant conscientes des détournements de fonds. D’autant plus, l’illégalité des dettes octroyée au Congo : lors du Fonds belgo-congolais en 1962, un rassemblement qui a eu pour thème le transfert des dettes de la Belgique au Congo, l’un des acteurs présents a été la Banque mondiale. Celle-ci, consciente de la politique économique employée par la Belgique envers son ancienne colonie, a appliqué une réduction de dettes à la Belgique ironiquement puisque celle-ci lui a emprunté considérablement des prêts. De surcroit, cette réduction a été entreprise par la Banque mondiale dès lors que la Belgique a offert les ressources minières, provenant des mines de Katanga, aux Etats – Unis permettant pour ces derniers la création de la bombe atomique. Ces politiques économiques accordées au Congo ne sont que les résultats d’une entreprise élaborée depuis des années qui intègre l’asservissement d’Etats colonisés aux Etats puissants dans la scène internationale. Les tentatives d’annulation et de réduction des dettes ont été proposées à maintes reprises notamment au nom de la continuité de l’Etat. Laurent-désiré Kabila, en arrivant au pouvoir, a dû poursuivre le payement des dettes laissait par Mobutu. Cependant, le gouvernement déchu a laissé un fossé dans les fonds financiers de l’Etat congolais, il a donc fallu demander d’autres prêts aux mêmes créanciers occidentaux pour pouvoir rembourser. En 1996, la RDC a bénéficié de l’initiative d’allégrement intitulée « pays pauvres très endettés (I-PPTE)16. Bien que l’initiative permette la réduction de la dette, le Congo élabore assidûment une politique d’intervention extérieures déployées dans le but d’appliquer les politiques d’ajustement structurel de la Banque mondiale. Dès lors, ce système économique n’échappe pas aux voisins de la République démocratique du Congo. Ainsi, l’Angola en est un exemple frappant.



15 NZUZI. V, FILONI. C, « Victor Nzuzi : Le Congo enchaîné par la dette ». CADTM, 23 janvier 2018. https://www.cadtm.org/Victor-Nzuzi-Le-Congo-enchaine-par?debut_tous_articles_auteur=10 (Consulté le 25 mars 2024). 16 Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, www.cadtm.org. (Consulté le 25 mars 2024).

3. La dette angolaise

Depuis les années des indépendances, les pays africains ont contracté des dettes coloniales, qualifiées d’illégitimes17. L’Angola, pays d’Afrique central, n’a pas échappé à ce système. Le 11 novembre 1975, l’ancienne Afrique occidentale portugaise se retrouve officiellement « souveraine ». Cependant, la notion de liberté, selon les puissances occidentales, a un prix et celui-ci s’est manifesté en Angola par la dette qui lui a été attribué, s’élevant aujourd’hui à 54, 5 milliards de dollars. L’Angola est ainsi l’un des plus gros débiteurs parmi les pays du sud, dépassant ainsi la dette burkinabé, qui s’élève à plus de 3 milliards de dollars. Au fil du temps, la dette angolaise a augmenté à cause des intérêts, et l’un des grands facteurs de cette augmentation d’intérêt de la dette est la Guerre civile de 1992. Celle-ci est passée de 2 800 millions de dollars en 1986 à 11 200 millions de dollars en 1994. Aujourd’hui, en plus de la dette coloniale, la dette angolaise s’élève à 10 milliards USD18 . Cette detteci comprend celle contracté dans le contexte de la Guerre froide, celle contractée aux institutions internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ; ou encore celle contractée à l’association internationale du développement. D’autant plus, le pays des hippotragues noirs a au même degré des dettes commerciales auprès de différents pays comme le Portugal, la Chine ou encore Israël. Le montant de 10 milliards de dollars est un montant très conséquent. L’Angola fait d’ailleurs parti des 42 pays pauvres très endetté (PPTE). Dès lors, des négociations ont été en cours afin de réduire le montant en raison de son caractère « insoutenable ». Nous pouvons la qualifier de la sorte lorsque le montant du service de la dette est supérieur au revenu d’exportation. L’issue de ces négociations ont été que le montant des exportations est assez conséquent pour supporter le remboursement de la dette selon le club de Paris. Ce club est « un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés. Les créanciers du club de Paris accordent aux pays endettés un allègement de dette pour les aider à rétablir leur situation financière »19. La dette de l’Angola est un réel boulet financier pour le pays empêchant son développement économique. Le gouvernement angolais devient débiteur envers des État industrialisés qui pour la plupart n’ont pas besoin de cette source financière pour leur bon fonctionnement. Cet argent qui pourrait être utilisé dans des domaines importants comme la santé publique, l’éducation et la recherche sert à renflouer les poches des pays industrialisés ainsi que leur soif s’asservissement des pays du sud. Ce faisant, la dette angolaise est un élément de souffre-douleur pour le peuple angolais, obligé de rembourser des dettes attribuées illégalement et illégitimement, et des dettes contractées par la Guerre civile de 1992. Ce mécanisme de dettes publiques et coloniales est similaire aux dettes que la Côte d’Ivoire présente jusqu’à ce jour.



17 Commission pour la vérité sur la dette grecque. (30 mai 2015). « Définition des dettes illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables ». Comité d’abolition des dettes illégitimes. https://www.cadtm.org/Definition-des-dettes-illegitimes. (Consulté le 28 mars 2024).
18 MINETTE. A, « L’Angola : pris au piège par ses appâts ». Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, 8 novembre 2004. https://www.cadtm.org/L-Angola-pris-au-piege-par-ses (Consulté le 22 mars 2024).
19 Site official Club de Paris : https://clubdeparis.org/fr (Consulté le 22 mars 2024).

4.Lumière sur la dette souveraine de la Côte d’Ivoire

Comme déjà énoncé avec les cas d’Haïti, de la République démocratique du Congo et de l’Angola, le système de dette s’imbrique dans les économies au point de pouvoir les contrôler et manifester des politiques à ses avantages. Bien plus qu’un système dette qui s’accroche aux économies touchées, c’est également un système économique favorable à la politique néolibérale globalisée, et d’asservissement, incluant qu’une élite se permette de pouvoir manipuler les économies des pays du sud. Le territoire nommé Côte d’Ivoire par le colonisateur français accède à l’indépendance formelle en août 1960. L’analyse succincte de son endettement récent est le prétexte à une analyse sous-jacente des modalités de contrôle économique mise en œuvre par les anciennes puissances coloniales afin d’affaiblir les économies des ex-États colonisés. Dans son ouvrage remarquable le professeur en économie Joseph Pouemi20 mettait en lumière, après une analyse ciselée de l’économie ivoirienne, les solutions inadaptées du FMI qui lui ont été appliquées, qualifiant ses experts d’« experts magiciens ». Son analyse révèle les conditions d’accès à la dette plus que défavorables imposés aux États comme la Côte d’Ivoire. Le FMI en échange de prêt conditionna le crédit à la restriction. Les banques commerciales du pays ont été tenues de ne plus soutenir ni la consommation des ménages, ni le financement des entreprises par l’octroi de prêts. De surcroît, l’analyse de J. Pouemi examine les bilans de ces banques commerciales qui démontrent qu’elles ont prêté d’avantages à des sociétés étrangères, excluant les ivoiriens de la participation à construction de leur propre économie nationale. Pour la Côté d’Ivoire, le système de la dette prend les mêmes mécanismes déjà décrits. En 2023, le montant de la dette ivoirienne s’élevait à 2, 1 milliards de dollars, selon les données de la Banque mondiale. Elle représentait 1,2% des exportations de biens et services et revenus21. Une spécificité que l’on retrouve uniquement dans les Etats francophones c’est que leurs obligations sont libellées sous forme d’eurobond ; c’est-à-dire que l’Etat ivoirien, qui a pourtant une bourse des valeurs sur son territoire, emprunte des capitaux sur le marché des capitaux européens. La monnaie des échanges et le marché de la dette sont représentés par le dollar. L’Etat ivoirien va de ce fait emprunter en dollar et non dans sa devise nationale qu’est le FRANC CFA.Or si la Côte d’Ivoire empruntait en dollar, elle devrait également rembourser en cette même devise. Et ainsi, c’est une partie de ses devises qui proviendrait de son commerce extérieur qu’elle devra céder aux créanciers. Tandis que si elle empruntait dans sa propre monnaie sous son impulsion, la Banque centrale n’aurait qu’à créer plus de monnaie pour rembourser les créanciers de sa dette. Dans le cadre du FRANC FCA, la Côte d’Ivoire dépend non plus uniquement de la Banque de France, mais également de la Banque centrale européenne (BCE) puisque le FRANC CFA est arrimé à l’euro par une parité fixe22. Dès lors, cette dépréciation s’explique par l’absence de valeur une fois sortie de la zone BCEAO et CEMAC du FRANC CFA. Bien que bénéficiant d’une garantie de convertibilité par l’État français, la dépréciation ne peut pas être convertie en une autre monnaie que le FRANC CFA à Paris, Berlin ou Dubaï. Le 22 janvier 2024 l’État ivoirien a émis des eurobond sur les marchés financiers et a pu lever 2,6 milliards de dollars. A titre d’exemple, la France emprunte sur le marché des capitaux à un taux d’intérêt de 3%. D’après l’INSEE, la Côte d’Ivoire emprunte à un taux d’intérêt de 8,5%. Les récentes manifestations contre « la vie cher », terme qui désigne l’inflation en Côte d’Ivoire, démontre bien que l’impact de la dette dans l’économie réelle est négatif du moins pour les populations locales. En réalité, ce sont les multinationales étrangères23 qui profitent du système de la dette. L’État leur octroie les marchés publics à plusieurs millions de dollars. C’est ainsi que l’on voit de nouveau ponts et stades notamment. Certains ivoiriens se réjouissent sans réellement comprendre la profondeur du gouffre financier dans lequel ils se trouvent. Cette levée de fond traduit un déficit de souveraineté monétaire. D’une part, on retrouve la Côte d’Ivoire, un État dépourvu de banque centrale, sans une monnaie nationale. La monnaie qu’elle utilise appartient juridiquement au pays anciennement colonisateur. D’autre part, on a le Japon, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, le Ghana qui détiennent une banque centrale et qui ont une monnaie souveraine. Ils peuvent donc piloter à leur guise leur politique monétaire, décider des conditionnalités de leur endettement sans nécessairement soulever de la dette sur les marchés de capitaux occidentaux. Ils ont une plus grande marge de manœuvre, et leur population bénéficie en priorité du crédit. Enfin, tant que la Côte d’Ivoire n’aura pas sa propre monnaie, elle sera continuellement dépendante de l’Euro et du Dollar ainsi que d’investisseurs étrangers. À noter, une économie peut recevoir des investissements étrangers, toutefois, pour le cas de la Côté d’Ivoire, celle-ci a une économie extravertie qui met en priorité le créancier étranger pour financer les infrastructures et non l’économie réelle locale. In fine, en l’occurrence, ce sont, par exemple, les Sud-coréens qui bénéficient en priorité du crédit bancaire et de la croissance économique, et non les Ivoriens, pourtant natifs et censés être prioritaires des bénéfices. Pour conclure, le système de la dette est une politique économique appliqués aux pays anciennement colonisés. Pour rappel, la république d’Haïti, bien que pays non inscrit dans le continent d’Afrique, reste le moteur de l’entreprise du système de la dette qui s’est, par la suite, développé dans l’ensemble du continent. Ce système est par ailleurs une facette qu’est la politique économique, le capitalisme, qui entreprend l’acceptation de la dette dans son économie, la définissant comme la clé de voute de l’ensemble des structures financières et économiques. La République démocratique du Congo et celle de l’Angola sont des pays dont le système de la dette s’est transformé en un système hiérarchisé et institutionnel ; c’est-à-dire que le système de la dette, autrefois nait dans une conception illégale des faits, avec par exemple l’attribution des dettes du royaume de Belgique au Congo belge, s’est transformé en un marché, impliquant des interventions extérieures et des échanges et prêts commerciaux au détriment des populations locales. Pour le cas spécifique de la Côté d’Ivoire, le système de dette se lie explicitement à sa monnaie qu’est le FRANC CFA qui est en parité fixe avec l’euro. En effet, si la valeur de l’euro diminue, comme le cas été confirmé lors de la crise économique de 2020-2022, le FRANC CFA suit directement cet effondrement. Également, les échanges commerciaux qui induisent qu’une différence de profits se mobilisent, caractérisant ce faisant deux clans : l’un obtenant le plus de profits et le second le moins est d’actualité dans la totalité des pays africains qui se voient se soumette indéfectiblement aux politiques économiques d’institutions financières et/ou économiques. Ces dernières ont d’autant plus un important rôle puisqu’elles octroient des prêts aux pays sous échange de répondre parfaitement aux politiques d’ajustement structurel obligatoires sinon les prêts leur seront retirés avec indifférence. L’économie est le moteur de l’évolution de tout pays, et celle-ci doit être religieusement tenue par les gouvernements et les banques centrales. Car, apposer des indicateurs ne correspondant nullement aux économies locales, les déficits seront toujours autant importants, et les manques de ressources pour rembourser des prêts auprès de créanciers toujours aussi traditionnels.



20 POUEMI J.T, Monnaie, servitude et liberté, Québec, ed. afro-canadienne, 2020, p.110-120. 21 X, « Service de la dette sur la dette extérieure, total (Service de la dette totale, $ US) – Côte d’Ivoire, www.donneesbanquemondiale.org.s.d (Consulté le 25 mars 2024). 22 AGBOHOU. N, « Le Franc CFA et l’Euro contre l’Afrique », Paris, ed. Solidarité mondiale, 1999, p.63. 23 BOUZOU. N, « La Côte d’Ivoire, place forte des entreprises françaises…jusqu’à quand ? », disponible sur www.lexpress.fr, 30 septembre 2023.